Architecture de terre en Iran
Rûmi, Nadir Khalili et le Super Adobe.
“Chaque poignée de terre peut être transformée en logements…”
- Les précurseurs
Au tournant des années 1970-1980, sous l’impulsion d’un groupe de maçons de la Région de Grenoble, amoureux du patrimoine bâti en pisé*, se déclencha dans le milieu des bâtisseurs un véritable engouement pour la construction traditionnelle et en particulier pour la construction en terre. Ce mode d’habitat qui avait longtemps fait ses preuves un peu partout dans le monde, de la Chine à l’Afrique, en passant par la France et le Moyen-Orient, avait été largement délaissé au profit de la brique cuite, puis du parpaing et surtout du béton. Mal entretenue et considérée comme un symbole de pauvreté, voire d’arriération, elle avait failli tomber dans l’oubli, lorsque dans les années cinquante la voix de l’égyptien Hassan Fathy, avait retenti et avec lui “ une volonté sans faille de construire avec et pour le peuple”. Hassan Fathy recourut en effet justement à la terre pour bâtir un village expérimental, moderne dans ses équipements mais inspiré par le logis rural traditionnel qui respectait autant une culture, un mode de vie, un paysage et un climat que le niveau de vie économique de ses habitants.
Au même moment, du côté de Los Angeles où il avait établi ses bureaux mais où il passait son temps à naviguer entre Téhéran et la Cité des Anges pour surveiller la construction des gratte-ciels qu’il bâtissait à tour de bras dans les deux pays tout en respectant la technologie et le style de l’Occident, un architecte iranien commençait lui aussi à se poser des questions sur son travail, et plus encore sur la finalité de ce dernier. Nader Khalili, puisque c’est de lui dont il s’agissait, n’était pas non plus le premier venu. Comme il s’est longtemps plu à le raconter ensuite, sa vie ressemblait presque à une mythographie. Passionné de soufisme, ce traducteur du poète mystique du 13ème siècle qu’était Rûmi, nait en 1936 dans un Iran qu’il quitte afin de poursuivre ses études en Turquie avant de devenir un bâtisseur prospère du Nouveau-Monde. Toute sa vie d’homme s’élabore dans les lointains et l’ailleurs, mais en 1975, la pensée de Rûmi le rattrape et ne le lâche plus :
comme des lèvres desséchées
remplies de soif à la
recherche d’eau
ne lâche jamais ta quête
la quête elle
– même est la clé de tous vos désirs
la quête elle-même
est votre armée victorieuse
- La conversion
Khalili ferme brutalement ses bureaux et s’achète une moto. Il part pendant cinq ans en pèlerinage découvrir l’Iran. De village en village, du Sud au Nord et de l’Est à l’Ouest, il s’en va à la recherche de la vérité architecturale, nanti d’une sorte d’illumination intime sur le rôle dont il se sent investi vis à vis du peuple. Plus tard, en 1984, il en donnera la version complète dans ses mémoires, intitulés Racing alone, qui s’ouvrent notamment par la révélation que fut pour lui le premier rêve de cette aventure “ une maison simple, construite avec des mains humaines à partir des matériaux simples de ce monde : les Eléments, Terre, Eau, Air, et Feu” Ce passionné d’alchimie appela sa fusion d’Alchimie et d’Architecture “ Archemy”. Ce qui raconte à la fois le personnage et son côté visionnaire. Car outre le fait d’acquérir une connaissance intime du peuple iranien qu’il voit vivre aussi bien dans les villes que dans la campagne, il ne peut s’empêcher de constater la permanence d’un riche patrimoine architectural en terre crue séchée au soleil qui concrétise à ses yeux non seulement la spécificité de cette culture, mais les bien-fondés d’un mode de construction décent propre à la fois au désert et aux plus pauvres dans un souci d’utilisation intelligente et économique des ressources et des matériaux locaux. Dans la citation mentionnée plus haut, la notion d’éléments essentiels venait directement de Rûmi. Khalili interprétait la terre et l’eau comme de l’argile séchée par l’air et associait ces matériaux aux petites maisons entrevus partout dans la campagne iranienne. Mais ces structures-ci étaient incomplètes, susceptibles d’être endommagées par les inondations ou les tremblements de terre et de disparaître en cas de pluies torrentielles ou de fortes chutes de neige car la population ne savait plus les réparer ou les considérait comme des symboles d’un passé qu’il fallait remplacer par des matériaux modernes qui eux devaient être achetés.
La révélation majeure de Khalili, fantastique vision d’une architecture en céramique, était d’achever l’assemblage de ses composants en enflammant entièrement la maison d’argile comme s’il s’agissait à la fois d’une poterie géante et du four lui-même. En scellant toutes les ouvertures sauf celle du toit tout en entretenant le feu pendant 24 heures d’affilée en y rajoutant au fur et à mesure du kérosène, les murs en terre crue pouvaient être transformés en une coquille en brique pleine à toute épreuve.
Or cette vision inspirée par les bâtiments découverts partout tout au long de son périple et dont, faute d’entretien beaucoup commençaient à tomber en ruines ne devait pas tarder à prendre corps. En 1984 Khalili est invité par un autre visionnaire, le scientifique Wendell Mendell à présenter son idée à la NASA. A cette époque, le projet Apollo d’envoyer 20 hommes dans la lune a été enterré depuis plus d’une décennie : le programme spatial et ses budgets de milliards de dollars s’étaient plutôt centrés sur la navette spatiale et la création d’une station orbitale. Sans aucun support institutionnel, Mendell avait, lui, conçu le projet d’établir une base permanente sur la lune. Cette année-là, deux collègues et lui organisèrent un symposium appelé “ Bases lunaires et activités spatiales du vingt et unième siècle”. En l’an 2000 pensaient-ils, “les navettes spatiales pourraient effectuer des vols de routine entre la station spatiale et la lune, n’est-ce pas ? Et est-ce que cela n’entrainerait pas dans la foulée l’installation d’une une colonie lunaire permanente ?” Leur symposium permettrait d’approfondir les implications que cela entrainerait. Toutes les universités américaines reçurent cet appel à contribution.
Lorsque Khalili le vit à son tour, il était devenu clair pour lui que l’idée d’une maison en céramique, même symboliquement résonnante, serait difficile à réaliser à grande échelle. Alors que la notion était simple, sa réalisation était assez lente, coûteuse et dangereuse à entreprendre. Mais l’idée de l’architecture lunaire l’inspirait : se considérant déjà comme un étranger dans sa discipline, l’architecture, il était également devenu un étranger contribuant à l’astro-science. “ Les matériaux intemporels (Terre, Eau, Air et Feu) et les formes intemporelles de l’architecture (Arches, Voûtes, Dômes et Absides) lui ont donné la dimension d’être utilisé à la fois sur Terre et sur d’autres planètes” a-t-il écrit à propos de son boîtier en céramique. La lune, malheureusement, manquait de trois éléments sur quatre (peut-être les quatre : la “terre”, techniquement, ne peut être trouvée que sur Terre).
Pourtant, sa proposition insistait sur le fait que la poussière de lune pourrait être la base de structures céramiques permanentes. Il a même suggéré une plate-forme à rotation centrifuge- un tour de potier géant, sur laquelle les sections de taille normale pourraient être lancées, étant donné la faible gravité de la lune.
Mendell dont la quête pour retourner sur la lune se poursuit encore à ce jour, est désormais directeur adjoint pour l’exploration à la division Matériaux astronomiques de la recherche et de la science expérimentale de la Nasa et il se rappelle toujours presque quarante ans après la présententation : “ Le papier de Nader m’a fait une grande impression…Il a confirmé que si la poussière de lune était chauffée avec de l’énergie micro-ondes, son fer microscopique fusionnerait. “
- De la lune au “Super Adobe”
L’impact de Khalili sur l’architecture spatiale a peut-être été négligeable, mais l’exercice de traduire ses notions de céramique sur la lune, a pour lui été transformateur. Réalisant que la source d’énergie pour faire fondre la poussière de la lune ; le Soleil, serait difficile et coûteuse à exploiter sur la lune, il a improvisé une méthode différente qui allait déboucher sur sa grande invention. Avec la Nasa, l’idée était de remplir des sacs avec de la poussière de lune comme bloc de construction en utilisant pour les lier ensemble ce précieux matériau de l’ère spatiale qu’était le Velcro. Marcher un kilomètre avec des bottes de lune était exactement ce dont Khalili avait besoin pour effectuer ce saut radical dans le champ des possibles et transformer une idée innovante en technique de construction. De retour sur terre, Khalili n’eut qu’à échanger le Velcro contre du fil de fer barbelé et le Super Adobe put voir le jour.
Le Super Adobe est né d’une pratique de construction ancestrale qui consiste à empiler les unes sur les autres des couches constituées de sacs de sable ou de terre bien tassée. Ces sacs sont ensuite réunis à l’aide de fils de fer barbelés dans une structure en forme de dôme. Afin d’assurer une stabilité plus grande, les blocs d’adobe sont maintenus ensemble avec du ciment ou de la chaux. La structure ainsi constituée est résistante aux inondations, aux incendies, aux ouragans et aux tremblements de terre. Résistant au froid comme à la chaleur elle peut être élevée par des femmes et des enfants.
En 1986, M. Khalili poursuit ses travaux de recherche et développement en créant la Fondation GELTAFTAN- gel signifiant argile et taftan, cuire et façonner l’argile en le chauffant, dont l’objectif était de construire des maisons en terre crue. En 1991, l’entrepreneur fait de cette fondation une nouvelle organisation de charité à but non lucrative : le California Institute of Earth and Architecture (Cal Earth) où l’on enseigne la construction du super adobe, basé sur les principes de la philosophie de Rûmi, tels que l’unité des éléments “ Yekta Arkan”.
Un inventeur au service des plus démunis
Conscient que son invention permettrait de venir en aide aux populations les plus pauvres et les plus vulnérables du monde, M. Khalili cherche ensuite à la protéger contre toute exploitation commerciale dans la mesure où celle-ci pourrait empêcher ceux qui en ont besoin d’y accéder.
Ce souci de la gratuité le fait déposer alors une demande internationale du brevet auprès de l’Office des brevets et des marques des États-Unis d’Amérique (USPTO). Désireux de diffuser sa technologie Super Adobe dans le monde entier tout en la protégeant contre les usurpateurs, M. Khalili dépose également une demande internationale de brevet au titre du système du Traité de coopération en matière de brevets (PCT) en 1999. Ainsi propose-t-il des lors deux types de maison pour ceux qui veulent construire eux mêmes leur lieu de vie : les Eco Dôme et les Earth One Home qui sont elles, des structures à trois voûtes.
Si l’architecte a depuis reçu un impressionnant nombre de titres et de récompenses, suite à l’afflux de réfugiés en Iran en 1993, il avait pris l’habitude d’intervenir dans la construction d’abris décents pour les déplacés, mission que remplissent à la perfection et pour le coût modique de 625 euros ses constructions d’urgence.
- Khalili a disparu en 2008 et Cal Earth a célébré son vingt-cinquième anniversaire en 2011. L’organisation continue de transmettre la vision de son fondateur en organisant des ateliers mensuels sur la technologie et les méthodes de construction Super Adobe partout dans le monde, car comme l’a dit son inventeur :
“Super Adobe est un adobe tiré de l’Histoire et adapté à notre siècle, tel un cordon ombilical reliant l’adobe traditionnel à l’adobe futur”.
Germaine Le Haut Pas
10 Octobre 2021
(À suivre)
Pisé : le pisé est un mode de construction traditionnelle en terre crue que l’on élève dans un coffrage de banches, comme l’adobe.
Adobe : c’est une technique traditionnelle de construction en briques de terre crue mises à sécher au soleil
Le point commun de ces techniques est qu’elles permettent de construire avec la terre extraite sur place.
1 commentaires
Toujours un merveilleux voyage dans la connaissance . Merci !