Les chasseurs de vent de Yazd
Sans doute construite par Sassani Yazdgerd 1er qui lui a donné son nom, la ville historique de Yazd est située au milieu du plateau iranien, à 270 kilomètres au Sud-Est d’Ispahan, à proximité des anciennes routes des épices et de la Soie. C’est un témoignage vivant de l’utilisation des ressources limitées pour assurer la survie dans un contexte hostile, celui du désert. Venue des montagnes, l’eau y est transportée par les qanâts, un système de canaux souterrains, qui l’amène ainsi en ville mais aussi jusque dans chacun des villages qui s’essaiment dans cette zone aride.
A la différence de nombre d’autres cités construites en brique crue qui se sont effondrées au fil du temps, Yazd a gardé ses quartiers traditionnels et ses petites rues aux parcours labyrinthiques au détour desquels on tombe aussi bien sur des sabets, passages dont tout ou partie sont couverts et surmontés d’une série d’arcs entrecroisés pour se protéger du soleil, que sur des Bazars, des maisons anciennes, des mosquées, des synagogues, des temples zoroastriens, des madrasas, des hammams, des citernes à eau ou bien sûr de magnifiques jardins historiques, dont le plus fabuleux est sans doute le Dolat-Abad dont la haute Tour à Vent est une des plus exceptionnelles du monde.
Ce que nous lisons dans cet article:
Ombre et lumière
Yazd est partagé en quartiers. Construit sur un qanât particulier, chacun comporte un centre communal en terre autour duquel s’organise le dédale de ces maisons aux cours intérieures légèrement surbaissées pour permettre l’accès aux pièces plus fraîches du sous-sol invariablement agrémentées en leur centre d’une pièce d’eau.
Matériau vernaculaire par excellence des régions hostiles, la terre crue que l’on malaxe avec de la paille avant de l’extruder sous forme de briques et de les faire sécher au soleil sur les lieux même de la construction, permet d’élever aussi bien les murs que les toitures, les voûtes et les dômes. Moins coûteuse que les parpaings ou le béton et plus facile à entretenir, elle possède des qualités thermiques exceptionnelles qu’améliore encore une maîtrise de la circulation de l’air qu’ont depuis des millénaires affinée ici des générations de bâtisseurs du désert jusqu’à doter chaque unité d’habitation d’un véritable microclimat tempéré.
Outre son magnifique aspect mordoré, qui va du rose pâle du matin, à l’ambre soutenu du soir pour passer par la gamme des ocres au rouge au milieu de la journée, la ville dispose d’un autre atout: elle s’associe à la continuité des traditions couvrant l’organisation sociale dont celle du Waqf. Cette dotation financière publique originale à fonds perdus est mise au service de la construction et de l’entretien par quartiers, d’édifices publics allant des citernes aux mosquées.
Par ailleurs est-ce le fait de cette science de l’ombre et de la lumière, du partage méticuleux d’une eau ici plus précieuse que l’or, mais la ville a su depuis toujours faire coexister paisiblement les religions, de la plus vieille, le Zoroastrisme, à la plus récente, l’Islam en passant par le Judaïsme. Ponctuée par les minarets, les dômes des monuments et des mosquées, les silhouettes des dakhma– les tours du silence, et hérissée par la véritable forêt de tours à vent qui s’y dressent comme autant d’ombres chinoises, la ligne d’horizon offre de loin comme de près au voyageur qui y entre ou qui en sort un panorama unique au monde qui a valu à la Cité d’être depuis 2005 inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco
Les jardins de DOLAT ABAD
Si nul n’aurait raisonnablement pu imaginer trouver un espace vert au beau milieu d’un désert, les jardins de DOLAT ABAD sont là pour clamer que face au paysage le plus hostile, l’inventivité humaine n’a depuis ses origines cessé de contourner les règles physiques les plus contraignantes pour satisfaire ses besoins
Dès l’époque achéménide (-589-529 av. JC), l’idée d’un “paradis terrestre” s’est répandue dans la littérature persane, et Cyrus le grand lui-même -580 (av. JC) fut l’auteur de tels jardins.
Lui et les siens raffolaient de ce genre de grands espaces ombragés pour offrir à leurs proches une vraie détente spirituelle en un lieu qui devait selon eux ressembler à un “paradis sur terre”. En fait, le mot moderne Paradis, n’est rien moins que dérivé du mot avestique « Pairidaēza », qui signifie « Jardin clos », et qui a également été tiré d’un autre mot akkadien. Comme il ressort clairement du mot lui-même, ces jardins auraient été fermés afin de permettre dans cet espace protégé un meilleur ressourcement au milieu du quotidien et de ses embûches.
Si de l’Andalousie à l’Inde, nombre de jardins ont ainsi ensuite hérité de la tradition et de la fonction du jardin persan, l’Iran peut être considéré comme le berceau du paradis sur terre puisque s’y abritent encore de nombreux jardins persans, dont neuf appartiennent au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Et dans la ville des « chasseurs de vent » qu’est Yazd, le jardin de Dolat Abad représente le plus beau d’entre d’eux. Situé dans un des quartiers historiques de la ville, « Chahar Menar », ce jardin également appelé de Dolat Abad Chahar Menar mesure presque trois hectares. C’est l’un des plus anciens d’Iran mais aussi le plus fameux grâce à son badguir. Avec ses 33,8 mètres de hauteur, ce dernier domine pins, cèdres, arbres fruitiers, vignes et grenadiers qui s’étendant à ses pieds dans une luxuriance de feuilles, de fleurs et de petits canaux.
A la fin de la dynastie Zand, en 1738, sous le règne de Nâder-Shah, « Muhammad Taqi Khan Bafqi, chef des Khans de Yazd, et également connu sous le nom de « Le Grand Khan » (en persan : Khan-e Bozorg), voulut faire construire comme lieu de résidence des souverains de l’époque, un jardin polyvalent qui serait à la fois résidentiel et gouvernemental. Dans le but de l’irriguer, il fit d’abord bâtir un qanât de 65 kilomètres de long qui transporterait l’eau des hauteurs de Mehriz l’eau jusqu’à l’emplacement projeté du futur jardin Dolat Abad. Et ce n’est qu’alors qu’il put entamer la construction du jardin lui-même.
Fontaines, manoirs, étangs, divers types d’arbres fruitiers et vivaces furent ensuite progressivement ajoutés au jardin primitif. En raison de son utilisation double, il fut alors divisé en deux sections distinctes, une cour intérieure à usage privé et résidentiel et une cour extérieure pour les cérémonies gouvernementales, les événements sportifs et la gestion des affaires municipales.
En sus de la résidence du gouverneur, l’ensemble comporte toujours aujourd’hui le jardin persan (Chahar-bag), un pavillon octogonal à deux niveaux dominée par la fameuse tour à vent, la plus haute du monde. Mais il existe aussi à côté deux pavillons également surmontés par des badguirs, et qui eux étaient réservés aux hôtes du khan.
Sous la tour, le cœur du pavillon central, occupé par un bassin surmonté d’une coupole, communique par des baies et des claustras avec les différentes pièces des deux niveaux. La structure de l’édifice est telle qu’elle permet grâce à une véritable science des ouvertures et de la circulation de l’air de rafraichir rapidement toutes les pièces en même temps.
Le futur des attrape-vents
Aujourd’hui largement repris dans les préconisations de construction écoresponsable, le principe des badguirs de Yazd mérite que l’on s’attarde un instant sur leur modernité.
Depuis l’antiquité dans ces déserts où il fait régulièrement 45 degrés et au-delà, l’idée est de capter les vents chauds qui circulent au dessus des toits et d’en faire descendre l’air dans de hautes tours en briques avant de l’y faire remonter par des canaux verticaux latéraux. Le mouvement d’air ainsi créé aspire l’air frais des sous-sols afin de rafraîchir les pièces, c’est ce que l’on appelle d’ailleurs en construction l’effet Venturi. Ce même courant d’air passe au dessus du bassin central du badguir pour permettre son évaporation générant là aussi alentour de la fraîcheur.
Les tours ressemblent à de grandes cheminées ; mesurant entre trois et cinq mètres de large, et de quinze à trente trois de haut, elles sont à l’intérieur coupé verticalement afin de permettre la double circulation, descendante et ascendante. Elles voient leur partie basse s’ouvrir dans la pièce à rafraîchir et la partie supérieure, celle qui est au dessus des toits se percer d’ouvertures verticales. Celles-ci, orientées selon la direction du vent dominant, vont d’une à huit selon les plans des tours
L’intelligence de ce système plurimillénaire économe et non polluant fait aujourd’hui à nouveau école. Et on lui a même donné en France un nouveau nom, la paléo-énergie, on l’avouera un peu moins magique que celui d’attrape-vent.
(À suivre)
Anne Doeux
Juin 2021
1 commentaires
Bel article qui invite à la rêverie, raconte l’ingéniosité ancestrale des hommes et son rapport intime avec les éléments le milieu et la beauté. Merci.