Enluminure Persane
En Juin, Orient-Héritage poursuit son exploration de l’univers de la calligraphie en se penchant sur l’enluminure persane.
Les anciens appelaient dit-on les enluminures “des bijoux intellectuels”. La présence de pigments et le reflet de l’or jouent en effet un rôle essentiel permettant aux œuvres d’art de traverser le temps car l’or ne s’oxyde pas. Cette qualité assure la pérennité d’un texte et donc d’un évènement et permet d’en faire un témoignage durable. L’enluminure est une peinture ou un dessin exécuté à la main qui décore ou qui illustre un texte, en général un manuscrit.
Tantôt l’enluminure se mêle à celui-ci, tantôt, elle s’en éloigne au point même de le plus entretenir avec lui aucune relation. On opère différentes distinctions entre les types d’enluminures qui vont des scènes figurées aux compositions figuratives, en passant par les lettrines ou les initiales. La technique de l’enluminure comporte trois activités: l’esquisse, le mélange des pigments de couleur avec la colle animale, et le coloriage par couches.
L’enjolivement des manuscrits, sous forme de frontispices ornés de décorations géométriques abstraites, les sarlowhes, naît tout d’abord dans le monde préislamique puis arabe avant de se répandre dans les trois empires et notamment dans l’Empire Perse. Dans le monde arabo-musulman, cet art va s’épanouir entre le 11ème et le 14ème siècle où il devient un des arts du livre. Un livre enluminé y est dès lors considéré comme une œuvre d’art et sa possession le désigne comme signe de richesse. Son décor concerne soit la lettre, soit la page, soit la marge entre le texte et le bord de la feuille partiellement ou totalement embellie.
Dans les enluminures arabes, la symétrie est toujours présente, de même que souvent la répétition de formes géométriques; on y trouve des structures tripartites symétriques avec des couleurs de fond qui renforcent la structure. On note évidemment toujours la présence d’or qui éclaire le texte au sens propre en l’illuminant, mais aussi au sens figuré en éclairant le sens: les décors suivent souvent le tour de la page, les formes se répètent, se juxtaposent, s’alternent.
Des formes stylisées empruntées au feuillage se retrouvent dans les frises ou dans des médaillons centraux. L’art persan travaille les rinceaux dans la bi-dimensionnalité et subit très tôt dans ses représentations l’influence de l’art indien.
A la fin du mois de Mai 2021, Maître RALI VASHEGHANI nous a exceptionnellement autorisée à assister à un de ses cours d’enluminure au Service Culturel Iranien pour nous en apprendre plus et c’est en compagnie de son épouse, elle-même enlumineuse, MEHRI VASHEGHANI, qu’il s’est livré à une présentation de cet art aussi exigeant que minutieux où la précision de la main et du pinceau font de l’artiste un véritable ascète au service d’une traduction de la beauté et de l’harmonie du monde.
Ce que nous lisons dans cet article:
1 Un complément de la calligraphie
Maître RALI VASHEGHANI commença ce jour-là par nous répéter que cet art vint compléter la calligraphie persane et que même s’il n’existait pas de document précis datant exactement cette innovation, des dessins provenant de la période des Rois Sassanides, entre le troisième et le septième siècle de notre ère montrent que l’on embellissait déjà les palais royaux avec des ornements à base de plâtre décorés ensuite à la main. Plus tard, au troisième et quatrième siècle après l‘Hégire, à l’époque Seldjoukide, les artistes commencèrent à décorer les textes sacrés, donc les textes coraniques, qui avaient au préalable était calligraphiés,
Petit à petit, les rois successifs appelèrent différents artistes à orner ces mêmes textes.
Du prophète de l’Islam, des Hadis, prétendaient que pour celui qui écrit le nom de Dieu en belle écriture dans la formule “ Au nom de Dieu clément et miséricordieux”, sa place au paradis d ‘Allah le tout-puissant serait garantie. On les écouta. On leur obéit.
D’autre Hadis rajoutèrent à propos de celui qui laisserait en héritage de génération en génération jusqu’au jour de la Résurrection un Coran bien calligraphié et bien enluminé, qu’il s’agisse d’un roi ou d’une simple personne, qu’il aurait été un fidèle croyant. On les écouta, on leur obéit également. Et les textes coraniques rivalisèrent de plus en plus de beauté.
Au fur et à mesure que les Rois encourageaient les artistes calligraphes à écrire de beaux textes coraniques, les peintres se mettaient eux aussi à jouer leur rôle à part entière. Ils commencèrent à décorer les premières pages, la fin ou bien encore les espaces laissés en blanc entre les versets du Coran. Ils y ajoutaient de petits signes, ou de petites fleurs qui apportaient à ces textes la valeur ajoutée de leur talent et de leur art de coloristes.
2 Littérature et enluminure.
En continuant à avancer dans l’histoire, Maître RALI VASHEGHANI nous rappela que les textes littéraires étaient en Perse presque considérés comme de véritables textes sacrés. Et qu’ils furent de ce fait, honorés de même manière que les textes coraniques: ce fut dès lors ainsi que calligraphie et enluminure passèrent des textes sacrés religieux aux textes littéraires. On assista d’ailleurs à la même chose dans le monde occidental avec la Bible où les lettres, les lettrines, pouvaient être ornementées avec des fleurs, des guirlandes de fleurs, des feuilles de vigne, voire des arbres.
Au fur et à mesure les artistes s’enhardirent dans leurs compositions dessins/enluminures et rivalisèrent même d’inventivité dans les translations de Leili et Madjoun ou de Shirin et Farahad
Mais le grand maître fut sans doute celui qui introduisit une révolution en ajoutant aux motifs précédents celui du jardin qui entra dès lors tout entier dans l’enluminure. Car avec lui furent introduits ce que l’on pouvait trouver dans ce jardin et notamment les oiseaux: un des grands thèmes de l’enluminure devint alors celui de la fleur et de l’oiseau, de la fleur et du rossignol, de la rose et du rossignol… Et en même temps que s’introduisait cette alliance du végétal et de l’animal chantant se glissait l’allusion à un autre thème, lui constant dans cette littérature-là, celui de l’amour.
Maître VASHEGHANI alors de préciser avec un brin de malice dans le regard:
“ Si vous lisez plusieurs compositions poétiques de Hafez, vous verrez toujours qu’entre le rossignol et la rose, il s’agit d’une histoire d’amour car tous deux sont les emblèmes de ce sentiment. Vous pourrez également trouver à côté d’un rossignol l’image d’une bougie en train de fondre- de verser ses larmes: évocation typique de la solitude et de la tristesse des amoureux. Le souci de créer en permanence des suppléments de beauté à travers ces décorations ornementales allait au-delà de la simple joliesse du motif et reflétait la sagesse d’un point de vue presque philosophique sur l’harmonie du monde crée par Dieu.”
Aujourd’hui calligraphie et enluminure continuent à se compléter et si artistes calligraphes et artistes enlumineurs se succèdent sur des pages ornementées et travaillées avec de la poudre d’or à 24 carats, ils procèdent de la même façon qu’autrefois. L’enlumineur commence le premier. C’est lui qui trace au crayon sur une feuille de calque une partie du dessin ou de la frise ornementale qu’il compte réaliser. Il s’agit alors d’un motif qui se reproduit par exemple, tout autour de la page, en cercle, ou en ovale au centre de la feuille où le texte calligraphié prendra ensuite sa place.
Il repasse à la mine de plomb en exerçant une forte pression sur le motif du papier calque afin d’engraver finement par dessous la feuille de papier spécialement enduite à l’œuf qui servira de support au texte et à l’enluminure finale. Une fois le motif décalqué, l’artiste repasse au crayon dans le tracé en pointillés qui est apparu, reprend son calque, le déplace, le repose dans la continuité du premier dessin et recommence à l’identique jusqu’à ce que toute la feuille soit entièrement dessinée d’avance.
Une fois le dessin terminé, il passe à la phase suivante, celle de la mise en couleurs qui peut durer des centaines d’heures selon la taille et la complexité du motif. Les couleurs utilisées proviennent de pigments naturels, d’argent et d’or. On utilisait autrefois des minéraux (cinabre, lapis-lazuli, orpiment), des végétaux (vert d’iris, pastel, garance), des terres (oxyde et ocre) ou même des animaux (noir d’ébène, khermès, pourpre). Ces pigments étaient préparés à la détrempe, avec du blanc d’œuf, du miel, de la colle de poisson, de la gomme d’arbre. Depuis que les parchemins en peau de chèvre ont été délaissés, les artistes recourent souvent à une technique et à des couleurs proches de celles de l’aquarelle pour tous les travaux sur papier.
3 Un métier à haut risque
Le travail de l’enlumineur est extrêmement minutieux. Il doit souvent travailler à la loupe grossissante et entouré d’un véritable arc lumineux projeté tout autour du motif afin d’éliminer les ombres et de ne pas être troublé par les moirures de l’or ou de l’argent. Cette précision jointe au fait que les poils des pinceaux utilisés sont extrêmement fins et ne tolèrent aucun débordement hors de la ligne du dessin projeté, le travail lui-même est épuisant pour les yeux et ne peut se poursuivre sans danger des heures durant.
Pendant toute la séance que nous offrit ce jour-là, Maître VASHEGHANI, son épouse, MEHRI, ne cessa de peindre trois fleurs au bas du début d’une frise fleurie. Concentrée sur son ouvrage, elle ne relevait la tête que pour tremper le bout de son pinceau dans le godet empli d’un mélange d’aquarelle jaune et de poudre d’or avant de reprendre le traçage des pétales d’une fleur, de ses nervures, puis d’un pistil, d’une amorce de tige.
Le temps autour d’elle ne battait pas à la même vitesse. Elle était là, à côté de nous et en même temps ailleurs, dans sa fleur, en son jardin, dans son monde, dans sa création. Les énormes lunettes posées sur son nez rappelaient seulement l’autre vérité: les trois années écoulées à passer d’une table d’opération à l’autre pour tenter de sauver ses yeux abîmés par tant de décennies de ce fin travail d’orfèvre! MEHRI n’enluminait en effet pratiquement plus, gagnée qu’elle était par la presque cécité, conséquence de sa dévotion à cet art.
Elle nous avait fait l’honneur de venir, non seulement pour nous offrir une démonstration de son savoir-faire, mais aussi pour restituer la dimension symbolique d’un exercice, qui ne concerne pas que la main et l’œil, que le corps tout entier de celle qui se penchant avec tant d’attention sur le motif lui confère ainsi une dimension sinon mystique du moins profondément méditative et apaisée. Cet apaisement intérieur que lui procura, enfin sept ans après qu’il eut disparut, l’achèvement de sa première enluminure, celle qu’elle réalisa en mémoire de son défunt père.
Ce jour de Mai-là, la nouvelle fleur acheva de s’épanouir au moment même où Maître VASHEGHANI mettait lui-même fin à la séance. Nous nous promîmes de nous retrouver pour aborder les rapports de la littérature, de la miniature et de la calligraphie persanes.
Germaine Le Haut-Pas. Juin 2021.
(À suivre)
9 commentaires
Formidable de reviser l’écriture qui devient un art. Quelle façon poétique de ramener des signes dans la réalité.
Quel dommage que je n’ai pu assister à cette soirée. Le récit que vous en faites est très sensible et instructif
Bravo
Excellent article sur calligraphie et enluminures persanes, très precis et éclairant.
that’s very nice article. I like Enluminure Persane.
Quel travail, quelle richesse ! Merci pour cet article
Très intéressant et précis. Merci pour cet article.
Superbe article extrêmement détaillé et précis, merci à l’auteur pour cette plongée dans cette pratique artistique méconnue chez nous aujourd’hui.
Avec simplicité et talent vous nous faites découvrir la poésie et la beauté de l’enluminure persane, cet art toujours vivant et si bien représenté par ces artistes que vous nous donnez la chance de découvrir. Un grand merci.
si on pouvait refaire ces circuits ensemble !!! C’était magnifique l’article,vous faites voyager les français à travers de l’ordinateur 👍🏼👍🏼👍🏼