Sur les routes de l’architecture
Sur les routes de l’architecture
Mausolée d’Omar Kayyam.
Nishapur. Khorasan
J’entends dire que les amants du vin seront damnés.
Il n’y a pas de vérités, mais il y a des mensonges évidents.
Si les amants du vin et de l’amour vont en Enfer,
alors, le Paradis est nécessairement vide.
Rubâiyât
La vie d’Omar KHAYYAM (1048-1131) est entourée de mystère, peu de sources sont disponibles pour la retracer avec précision. Il serait né dans une famille d’artisans de Nichapur où son père était fabricant de tentes. Il passe sa jeunesse dans la ville de Bahli où il étudie les sciences, notamment les mathématiques et l’astronomie sous la direction des chercheurs les plus réputés de son temps, le cheik MOHAMMAD MANSUN, et l’Imam MOHAFFAQ de Nichapur. Ils étaient alors trois étudiants à travailler ensemble, NIZAM al-MULK, HASSAN SABBAH et OMAR lui-même et la légende raconte qu’ils passèrent alors entre eux un pacte légendaire:
” Celui d’entre nous qui atteint la gloire ou la fortune devra partager à égalité avec les deux autres”. Le premier devint un grand vizir de Perse, le second brigua un temps une carrière politique avant de devenir le chef des Hashishins*, mais OMAR qui n’était pas intéressé par les honneurs reçut du premier une pension de 1200 mithkals d’or, ce qui lui permit d’effectuer et de rédiger en arabe ses recherches scientifiques et en persan, la rédaction de ses poèmes.
Son prénom, KHAYYAM constituant déjà en soi le premier de ces poèmes, si on le déchiffre avec le système de décryptage al-Ghaqi, cela donne “le dissipateur de biens”, c’est à dire “celui qui distribue ou ignore les biens de ce monde*”qui constitue un lourd fardeau dans le voyage* qu’il entreprit sur le sentier soufi*.
OMAR KHAYYAM commence par se consacrer à l’algèbre qu’il étudie à Samarcande avant de publier son premier traité lorsque le sultan MALIK SHAH l’invite à Ispahan qui est alors la capitale du Royaume; c’est là qu’il fait bâtir le gigantesque observatoire à partir duquel il mesure pour la première fois la longueur d’une année, 365, 2421…jours. Tombé en disgrâce après la mort de ses protecteurs, il part pour Merv puis revient finir ses jours à Nishapur en 1131. Il laisse une œuvre qui fait avec ses Rubâiyât (quatrains) un des chefs d’œuvre de la poésie persane.
À Nichapur, le monument funéraire qui célèbre sa mémoire se devait d’être à la hauteur d’une existence partagée entre science et poésie. Bien des siècles s’écoulèrent donc avant qu’en 1959, en toute connaissance de la complexité du personnage, l’architecte iranien, HOUSHANG SEYHOUN n’entame les plans du monument, que tout voyageur visite depuis impérativement lorsqu’il s’arrête à Mashhad, afin de s’imprégner du double message de ce poète cosmique.
Arrêtons-nous un moment devant cette bâtisse qui raconte en même temps une partie de l’histoire de cette région du Pays. Nous sommes au milieu du printemps. C’est une belle journée. Une brise légère agite les branches des abricotiers. Une pluie de pétales tombe sur les bassins de pierre emplis d’eau où se reflète le ciel. Les oiseaux s’époumonent. Et c’est là que repose donc Omar Khayyam, à proximité du mausolée de Mohammad MAHGOUGH, lui-même descendant de l’Imam Zeynn-ol-Abidin.
Lors de l’invasion des Mongols, la population de Neyshâbour (Nichapur) fut en effet massacrée et la ville, y compris ses cimetières fut quasiment détruite. Le monument de Mahrouhg ne fut reconstruit que plus de deux siècles plus tard sous les safavides et on releva également ce qui restait de celui de Khayyam, situé à l’est du mausolée. Mais selon les écrits des voyageurs étrangers qui visitèrent ce lieu au XIXe siècle, le monument funéraire de Khayyâm était alors cubique, en brique et en plâtre, et il ne comportait aucune décoration : la tombe était simplement placée au milieu.
En 1934, l’Association des œuvres nationales (anjoman-e âsâr-e melli) fit bien construire un nouveau monument funéraire sur cette tombe à l’occasion des festivités commémoratives du millénaire de la naissance de Ferdowsi, mais il s’agissait encore d’une plateforme rectangulaire dont l’enceinte était cette fois délimitée par quatre murs en pierre qui formaient un espace cubique au milieu duquel la tombe était placée. L’funéraire des œuvres nationales était bien consciente que ce nouveau monument n’était encore pas digne du rang de Khayyâm ; c’est pourquoi elle proposa à un nouvel architecte, Houshang Seyhoun de construire un nouveau monument funéraire.
Ce dernier n’était pas un inconnu. Alors qu’il étudiait aux Beaux Arts de Paris, il avait déjà reçu en 1945, le premier prix du concours organisé par l’Association pour construire un monument funéraire sur la tombe d’Avicenne. S’il venait de réaliser avec succès ce projet de 1948 à 1951, il perçut l’honneur qu’on lui faisait de l’année suivante de rendre hommage par sa propre vision à une autre grande figure du pays
Le mausolée d’Imâmzâdeh Mohammad Mahrough était situé dans un jardin de vingt milles mètres carrés. Houshang Seyhoun choisit donc pour installer le monument funéraire de Khayyâm une zone de 900 mètres carrés située au nord-est dont le niveau était de trois mètres plus bas que les parties environnantes.
Seyhoun avait lu dans le livre Tchahâr maghâleh (Quatre discours) de Nezâmi Arouzi (1110-1161) que Khayyâm avait désiré que sa tombe soit fleurie au printemps. Or l’emplacement qu’il avait justement choisi était entouré de vieux pins et d’abricotiers : il décida donc d’y construire un monument funéraire ouvert, afin que les fleurs des abricotiers atterrissent au printemps sur la tombe du poète.
Pour bien séparer visuellement et physiquement cet emplacement de celui de l’Imâmzâdeh de Mahrough, Seyhoun créa une voie perpendiculaire au chemin principal qui menait au mausolée de l’Imâmzâdeh. L’entrée menant à la tombe de Khayyâm était placée sur cette nouvelle voie et elle présentait l’avantage d’être dans l’axe du jardin limitrophe où était située la tombe d’un autre poète du pays, Attâr, lui-même ! Il ne restait pour les relier qu’à créer une entrée entre les deux jardins.
Ce que nous lisons dans cet article:
Une architecture à la croisée de la science et des étoiles de la poésie
L’ossature du monument funéraire lui-même est en fer et en béton. Dix piliers ayant cinq mètres de distance les uns par rapport aux autres sont placés sur un cercle. Deux structures en fer s’élèvent en oblique de chaque pilier et redescendent de l’autre côté du monument, après avoir créé, en s’entrecroisant, le volume du monument dans l’espace.
Leur entrecroisement a été calculé de manière à créer des formes géométriques. Le nombre 10 – qui est le premier nombre décimal – et les différentes formes géométriques créées par l’entrecroisement des dix piliers sont des allusions aux connaissances en mathématiques de Khayyâm.
Les structures en fer se rapprochent progressivement en hauteur et dessinent un volume ressemblant à un cône. À 22 mètres de hauteur, elles forment ensemble, un toit en forme de voûte. L’entrecroisement de ces structures trace des découpes qui ressemblent à des étoiles et rapetissent à mesure qu’on s’approche du toit. Au centre, figure une étoile à 5 branches.
La majeure partie du reste du toit comporte des trous à travers lesquels le ciel est visible. Ces formes d’étoiles, le toit évoquant la voûte céleste et le ciel de Neyshâbour visible à travers le monument, tout rend ici naturellement hommage à KHAYYÂM, l’astronome.
Les espaces créés par l’entrecroisement des piliers ont été remplis avec du béton pour certains, et laissés vides pour d’autres. Les espaces remplis sont dix grands losanges, qui ont été ornés par des mosaïques sur leur surface interne et externe. Selon Houshang Seyhoun la plus belle ornementation de l’ensemble ne pouvait être que les quatrains de Khayyâm lui-même. Ils furent calligraphiés en ta’ligh sur des mosaïques bleues par un maître calligraphe, M. Mortezâ Abdolrassouli.
C’était la première fois que l’écriture ta’ligh était utilisée dans les ornementations d’un monument en Iran. Les mosaïques furent ensuite préparées et placées comme des épigraphes à une hauteur de 14 mètres, sur la face externe des losanges. Les ornementations des surfaces internes des losanges sont des mosaïques évoquant des monuments historiques de l’Iran, avec des dessins de fleurs et de lierres.
Tout autour du monument funéraire, Houshang Seyhoun a construit sept petits bassins placés sur un cercle centré par le monument lui-même.
Ces bassins sont recouverts de constructions en pierre de granit dont la forme évoque une tente, ce qui est là une allusion au nom du père de Khayyâm qui cousait ces tentes, que l’on appelle en persan kheymeh.
Les bassins sont eux aussi ornés de mosaïques de couleur turquoise en forme d’étoiles à sept branches. Ils évoquent les sept cieux, autre allusion aux connaissances de Khayyâm en astronomie.
Chaque bassin est doté d’une fontaine, et le bruit de l’écoulement de l’eau contribue à créer une ambiance poétique.
La dernière étoile…
Lorsqu’il acheva le mausolée en 1962 Houshang Seyhoun projetait de construire dans une autre partie du jardin une bibliothèque, ainsi qu’une auberge pour les chercheurs sur Khayyâm qui souhaitaient séjourner à proximité du tombeau du poète et profiter de l’atmosphère poétique de ce lieu.
Au printemps 2000, on inaugura seulement un petit musée à proximité du tombeau afin de faire un peu revivre le contexte du poète. Le passant est invité à y entrer, « Les objets qui y sont conservés sont des objets en bronze et en fer et des poteries de Neyshâbour datant du IXe au XIIIe siècle -compte tenu de l’importance qu’avait la poterie de Neyshâbour dans le passé, et du fait que Khayyâm a souvent évoqué la terre et la poterie dans ses quatrain), des ustensiles utilisés en astronomie du temps de Khayyâm, et des manuscrits traitant d’astronomie. »
Anne Doeux
30 Avril 2021
A suivre